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13 juin 2013

La ville de Marrakech, gestionnaire modèle de ses eaux.

La ville de Marrakech, gestionnaire modèle de ses eaux.

Que ce soit pour sa population ou ses golfs, Marrakech ne puise plus dans sa nappe, et retraite ses eaux usées.

Marrakech, ville jardin, est un tableau en trompe l’œil. Depuis sa fondation en 1062 par les Almoravides, elle va chercher toujours plus loin l’eau qu’elle boit ou qui irrigue ses jardins, ses fameux Arsats et Ryads. Dans les premiers siècles de son existence, l’eau arrivait de l’Atlas, à trente ou quarante kilomètres, qui alimentait une nappe phréatique abondante que les hydrauliciens arabes récupéraient par un savant réseau souterrain de khettaras. Les temps modernes ont changé deux fois d’horizon.

Le premier changement est allé vers le bas, en remplaçant les khettaras, aujourd’hui tarieset abandonnées, par des forages profonds dans la nappe phréatique. L’Office national de l’eau potable, qui a fusionné depuis avec celui de l’électricité, avait effectué de nombreux forages pour alimenter la ville en eau potable. Jusqu’en 1983, 100% de l’eau consommée à Marrakech provenait des deux nappes avoisinantes, celles de Marrakech et du Nfis.

Avec la croissance de la ville, mais surtout des prélèvements toujours plus importants de l’agriculture sur la nappe, cette dernière a amorcé un inexorable rabattement. Avec la construction du barrage Hassan Ier sur l’Oum-er-Rbia au début des années quatre-vingt, l’ONEP a, en 1984, commencé à prélever 40 millions de m3 par an sur les 350 millions de capacité du canal d’adduction du barrage, le reste allant à l’agriculture.

Cette précaution était loin d’être superflue. Aujourd’hui, les forages de l’ ONEP dans la nappe du Nfis qui donnaient un débit de 1800 litres par seconde en 1976, ne donnent plus que 400 litres par seconde, et certains ont même tari. Une situation qui a conduit à profiter de l’achèvement en 2008 du barrage de Ouirgane, sur le Nfis, pour demander un nouveau prélèvement de 17 millions de mètres cubes par an, portant la dotation totale à 67 millions de mètres cubes. Une augmentation tout juste suffisante, quand on sait que Marrakech consomme chaque année 65 millions de mètres cubes.

Marrakech ne pompe plus sa nappe phréatique

Demain, un transfert sur 150 km des eaux de l’Oum-er-Rbia depuis le barrage Al Massira apportera 70 nouveaux millions de mètres cubes par an, de quoi couvrir les besoins de la ville jusqu’en 2030. La conduite qui desservira également les localités de Benguérir et Sidi Bou Othmane, et alimentera en eau industrielle l’Office Chérifien des Phosphates, sera opérationnelle en 2018. A cette date, Marrakech sera alimentée intégralement en eaux de surface. Elle ne touche ainsi plus à sa nappe phréatique, répondant à la politique de l’Etat qui veut donner la priorité à la mobilisation des eaux de surface sur les eaux sous-terraines.

Aux portes de la ville, l’ONEP passe le témoin de la distribution d’eau à la RADEEMA, la régie publique de distribution d’eau et d’électricité de la ville de Marrakech, à qui elle vend l’eau en gros. Après une période de croissance moyenne de la consommation d’eau de 5% par an de 2004 à 2007, et même un pic à 8% en 2007, la RADEEMA s’est penchée sur les économies, et notamment le rendement de son réseau. Les efforts d’entretien et d’investissement ont permis de ramener le rendement de 62% en 2006 à 73% en 2012. Ces 11 points de gagnés représentent tout de même 7 millions de mètres cubes.

Mais la réalisation dont la RADEEMA est la plus fière est sa station de traitement des eaux usées. Il y a encore pas une année, les Marrakchis fidèles à eux-mêmes plaisantaient, à défaut de s’indigner, des légumes du marché cultivés avec les effluents bruts de la ville, dans l’Oulja, une zone de quelques centaines d’hectares de la palmeraie. L’oued Tensift, à sec presque toute l’année, servait de collecteur général aux eaux usées d’une ville qui a atteint 1 200 000 habitants. Chaque jour, 115 000 m3 d’effluents y étaient rejetées en quatre points, dont deux dans son affluent, l’oued Yssil, et prenaient tranquillement leur chemin vers l’Océan Atlantique, 150 km plus loin, purgées par les crues intermittentes.

La situation ne pouvait plus durer. Exprimée au plus haut niveau de l’Etat, la volonté de résoudre ce point noir de la destination touristique phare du pays, allait accélérer la mise en œuvre du schéma directeur qui prévoyait une station d’épuration. La RADEEMA, régie publique de la distribution d’eau et d’électricité de la ville de Marrakech, est le maître d’œuvre de ce projet estimé initialement à 714millions de dirhams.

Ce montant va monter jusqu’à 1,2 milliard de dirhams quand l’Etat demande à la RADEEMA de prévoir, à partir des eaux usées, l’irrigation de vingt golfs. La ville qui n’en comptait que trois a vu fleurir 17 nouveaux projets en quelques années. Cette extension s’élève à 486 millions de dirhams, pour pousser le traitement des eaux usées, et les acheminer via à une conduite de 86 km vers les golfs.

Ces derniers sont sollicités pour participer au financement à hauteur de 30 millions de dirhams chacun. La municipalité, qui autorise les projets, impose à tout nouvel investisseur une participation de 30 millions de dirhams. Même s’ils n’avaient pas le choix, les promoteurs ont adhéré. Il leur aurait fallu une somme équivalente pour bâtir une station d’épuration pour les complexes immobiliers des sites golfiques. La RADEEMA a mis en place un paiement étalé. Et puis, cette irrigation par les eaux usées, et non en puisant dans la nappe phréatique, est bonne pour leur image.

La RADEEMA a connu plus de difficulté avec les agriculteurs qui n’avaient pas compris qu’on leur coupe les eaux usées avec lesquelles ils irriguaient leur champs, allant jusqu’à percer les nouvelles conduites d’amenée à la station, et à manifester avec toutes leurs familles sur la voie publique. Un peu d’autorité et beaucoup de pédagogie, parfois l’inverse, eurent raison de l’obstacle.

Aujourd’hui, la STEP a fait de Marrakech une ville modèle en matière d’épuration, et les visites de délégations étrangères, comme de classes d’écoliers, se succèdent à la station, où des chercheurs de l’Université de la ville s’activent. La station produit 45% de son énergie en recyclant le méthane issu de la fermentation des boues. C’est le premier projet a être certifié « Mécanisme de Développement Propre » par les Nations Unies, ce qui a permis d’enregistrer le projet pour envisager en vendre le crédit carbone sur le marché mondial.

La marge de traitement est encore forte. Les 33 millions de mètres cubes du traitement tertiaire, destinés aux golfs, ne sont aujourd’hui utilisés à qu’à hauteur de 5 à 6 millions de m3, et les 20 golfs, lorsqu’ils seront tous opérationnels, ne mobiliseront pas plus de 20 millions de m3. De quoi laisser de l’eau retraitée pour d’autres projets, comme celui d’irriguer la palmeraie à partir de la conduite des golfs, un projet suivi par la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement.

Deux branchements ont d’ores et déjà été réalisés dans les parties ouest (Oulja) et Est (Abied) de la palmeraie. Des réseaux secondaires à partir de bassins de stockage permettront d’irriguer jusqu’à 1000 hectares en goutte-à-goutte ou par seguia, au terme d’un investissement de 40 millions de dirhams pour la première tranche, et 100 millions à terme.

Un autre projet pilote, financé par la FAO et mené par les Eaux et Forêts, veut utiliser les eaux prélevées sur la conduite des golfs pour irriguer une forêt de proximité, et répondre ainsi aux attentes de la population urbaine, en quête d’espaces récréatifs. Cette expérience pilote serait, en cas de succès, répliquée dans d’autres villes, en mobilisant leurs eaux usées et retraitées.

Enfin, restent 35 millions de mètres cubes dépollués à 60%, actuellement reversées dans l’oued Tensift, en attente de nouveaux projets. Mais la station d’épuration, en renversant l’ordre des choses, a ouvert dans l’esprit des Marrakchis, tout un univers de possibilités, pour le plus grand bien de l’environnement.

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